Les assises des ingénieurs le 3 juillet 2013 : un constat toujours actuel

Les ingénieurs ont sans doute été écoutés. Il faut maintenant les entendre !

La participation des ingénieurs aux assises, dans les forums régionaux, et le 3 juillet 2013, comme les réponses à la consultation ont été conséquentes.

Sur la méthode, le refus de faire participer l’ensemble des corps d’ingénieurs (IPEF, IAC, IIM…) des trois ministères et d’inviter les ingénieurs territoriaux a tronqué l’échange entre ingénieurs travaillant sur les mêmes sujets. Par ailleurs, les quatre thèmes choisis pour les ateliers des forums régionaux ne reflétaient pas nos cœurs de métier. Nous avions alerté sur le contenu des ateliers des forums, consacrés au management et à l’expertise, dans lesquels de jeunes ingénieurs ne se sont pas retrouvés.

L’enquête de l’administration auprès des ingénieurs avait suscité un fort intérêt :

Près de 1 900 réponses sur 10 000 agents consultés.

1/3 des répondants passaient plus de 50 % de leur temps à la résolution de questions scientifiques et techniques et la moitié plus de 30 %. 53 % estimaient que leur travail était très intéressant et 39 % assez intéressant.

Pour exercer leurs métiers dans l’avenir, ils estimaient à 56 % que leur formation initiale les avaient bien ou très bien préparé et à 44 % moyennement ou mal préparé. 49 % estiment que le temps de formation continue était insuffisant. 91 % pensaient, peut-être ou certainement, changer de métier dans l’avenir, ce qui renforce les besoins en formation.

60 % estimaient que leurs possibilités de carrière sont peu ou pas satisfaisantes. 78 % estimaient que les possibilités de passage entre l’Etat et les collectivités territoriales sont à faciliter.

Les difficultés que rencontrent les ingénieurs pour bien faire leur travail sont importantes. Elles se sont exprimées dans les ateliers des forums.

Près de 1100 ingénieurs s’étaient inscrits pour assister aux 6 forums régionaux des Assises.

Les interventions dans les assises ont fortement marqué le besoin d’un Etat à la hauteur des grands enjeux du siècle et de ses propres politiques publiques autour des questions de développement durable, transition énergétique, transports, aménagement durable du territoire.

Dans un contexte où l’administration pousse vers le « faire-faire » plutôt que le « faire », les ingénieurs ont exprimé leurs craintes quant au maintien de compétences techniques à deux niveaux : compétence personnelle de l’ingénieur et compétence du service. La conception de l’ingénieur de l’Etat « administrateur à culture scientifique et technique » (que proposait déjà le rapport Folz-Canépa en mars 2009) a été contredite dans les débats. Les ingénieurs ont très fortement exprimé une évidence : pas de « faire-faire » possible sans une expérience opérationnelle dans la conception et l’exploitation directe et dans la valorisation de la technicité !

Le rôle du Réseau Scientifique et Technique et le besoin de reconnaissance et de parcours adaptés pour les experts et référents ont été soulignés. L’importance des réseaux et « clubs » également.

La formation dans des écoles scientifiquement et techniquement pointues, la diversification de l’activité professionnelle au cours de la carrière et la formation continue sont également apparues indispensable. La nécessité d’un accompagnement et de formation lors des changements de poste, en particulier d’un accompagnement lors du 1er poste de management, a été mise en exergue.

Le poids donné à la technicité dans les débats, et l’abandon (relatif, cependant) des objectifs de fusions de corps doivent beaucoup à la mobilisation des personnels et représentent des résultats appréciables des actions menées et de la prise de parole des ingénieurs. Cependant les propositions qui ont été faites interrogent sur la capacité de mettre en œuvre les métiers d’ingénieurs dans de bonnes conditions.

Les assises ont ensuite été évoquées au CTM du 18 novembre 2013. Les quatre chantiers annoncés se sont effectivement ouverts, mais les organisations syndicales représentées au CTM n’en ont eu un retour que le …24 juin 2014. Un travail parallèle s’est déroulé au ministère de l’Agriculture.

Sur le projet de Gestion Prévisionnelle des Emplois, des Effectifs et des Compétences (GPEEC) des ingénieurs :

La position officielle esquissée aux Assises serait : l’expérience du « faire » pourrait être acquise dans les établissements publics ou les collectivités avant d’occuper des postes de « managers » dans les services de l’Etat…

C’est une conception évidemment réductrice de l’ingénieur-manager. Un aller-retour entre « faire » et « faire-faire » est nécessaire au maintien des compétences, que ce soit au cours de la carrière ou par échange avec des collègues de la même unité de travail.

Les ingénieurs ont par contre clairement vocation à occuper des postes de managers et à y valoriser leur technicité réelle, à pouvoir y faire entendre leur point de vue proprement technique.

Il nous paraît très dangereux de saucissonner les rôles, aussi bien pour l’Etat que pour les ingénieurs. Nous récusons l’idée qu’une GPEC des postes d’ingénieurs pourrait conduire à une identification de postes de managers et d’experts dans l’Etat en laissant la définition des postes opérationnels et de recherche et développement uniquement aux établissements publics et aux collectivités, qui connaissent par ailleurs, eux aussi, des contraintes budgétaires.

Il y aurait là un grave gâchis de compétences, une destruction de moyens de l’Etat pour porter les politiques publiques et offrir une égalité d’accès à une ingénierie de qualité. Ce qui est évidemment aussi en cause c’est la capacité de l’Etat à mener de grands projets en maîtrisant l’indépendance des décisions publiques et en utilisant efficacement les deniers publics.

Le chantier de la GPEEC doit répondre effectivement à la question des besoins à satisfaire : les réponses ne peuvent partir d’un a priori sur la fin du « faire » dans l’État.

La mobilité, une préoccupation majeure :

En finir avec les freins absurdes aux mobilités est effectivement urgent. La politique de diminution des effectifs de l’Etat conduit à des blocages administratifs et à l’inefficacité, à des charges de travail excessives et des postes vacants.

Dans ce cadre, la mobilité choisie, y compris les retours à une activité opérationnelle après un passage en gestion ou en management, doit être facilitée. Il est urgent de retravailler les possibilités de passerelles, dont les détachements dans d’autres ministères ou en collectivité territoriale. Cela doit se faire en veillant à permettre des parcours diversifiés, sans modèle imposé, et sans discrimination notamment vis à vis des femmes par rapport à une mobilité géographique qui serait rendue obligatoire pour le déroulement de carrière.

Sur les écoles et la formation continue :

Le système de recrutement des ingénieurs des quatre corps est fragilisé comme en témoignent les défauts de remplissage des promos ces dernières années.

Un effort majeur de formation initiale et continue doit être fait, en cohérence avec les évolutions très importantes des politiques publiques. Il faut stopper la diminution des effectifs et des moyens des écoles !

La réponse passe aussi par des recrutements cohérents et suffisants par le concours interne et sur titre et nous partageons l’inquiétude de nos camarades TSDD, dont les promotions sont sérieusement entravées par une politique malthusienne.

Sur les suites des assises :

Les assises découlaient à la fois du projet de fusion des corps d’ingénieurs, initié par l’ancienne équipe gouvernementale, dans le cadre de la RGPP, et de la forte contestation de ce projet qui s’est traduit par un débat important chez les ingénieurs, et par une manifestation exceptionnelle le 9 février 2012.

Les corps d’ingénieurs représentent une identification forte de la technicité dans un champ particulier, la possibilité de construction de compétences collectives entre ingénieurs du même métier, des logiques de_recrutement et de gestion des qualifications, le lien avec une école de formation, un potentiel disponible pour exercer les missions. Ce sont des outils précieux de mise en œuvre des politiques publiques. Les raisons de s’opposer à des fusions de corps qui feraient du corps fusionné un outils gestionnaires et comptables demeurent. Les ingénieurs ont su se mobiliser contre les fusions et, le 3 juillet, les ministres ont confirmé que « la réponse ne passe pas nécessairement par la fusion » (Cécile Duflot) et que « la fusion à marche forcée n’est plus à l’ordre du jour » (Philippe Martin).

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